
(https://statistiques.public.lu/fr/actualites/2025/stn22-25-faillites.html)
Le cadre juridique luxembourgeois applicable à la faillite et à la restructuration des entreprises a fait l’objet d’une profonde réforme à la suite de la transposition de la directive (UE) 2019/1023 par la loi du 7 août 2023. Cette évolution constitue une avancée majeure dans la modernisation du droit applicable aux entreprises en difficulté, en intégrant la prévention et la résilience comme principes directeurs des dispositifs légaux et institutionnels.
La réflexion qui suit met en lumière ce nouveau cadre, en s’appuyant sur des expériences pratiques et une lecture critique des défis actuels.
1. Réforme législative : vers une approche préventive et intégrée
1.1 Modernisation et innovations procédurales
La loi du 7 août 2023 relative à la préservation des entreprises introduit plusieurs mesures destinées à renforcer la prévention des difficultés économiques, à favoriser la réorganisation et à faciliter la « seconde chance » des entrepreneurs.
Parmi les avancées notables figurent :
- La mise en place de cellules de détection auprès des autorités ministérielles, pour identifier précocement les signaux de défaillance.
- La création d’une cellule interministérielle chargée d’évaluer la pertinence des assignations en faillite émanant des créanciers publics.
- La possibilité de recourir à un conciliateur d’entreprise, un acteur tiers chargé de faciliter la négociation et la médiation entre débiteurs et créanciers.
- L’introduction de procédures formalisées de réorganisation, allant de l’accord amiable à la réorganisation judiciaire validée par le tribunal.
- L’élargissement du régime de faillite aux indépendants et professions libérales.
- La reconnaissance d’un droit à décharge partielle des dettes pour les personnes physiques faillis, contribuant à réduire la stigmatisation post-faillite.
Ces mesures s’inscrivent dans une dynamique de protection du tissu entrepreneurial et d’accompagnement durable des entreprises en difficulté.
1.2 La procédure « pre-pack » : un instrument de résilience
La procédure dite « pre-pack », opérationnelle depuis 2024, constitue une innovation majeure. Inspirée du modèle britannique, elle permet de préparer en amont et en toute confidentialité la cession des actifs et activités d’une entreprise menacée de faillite, sous le contrôle judiciaire.
Les bénéfices observés incluent la préservation du « going concern », la sauvegarde d’une part significative des emplois et une meilleure satisfaction des créanciers. Ce mécanisme concilie rapidité, discrétion et protection juridique, limitant les effets négatifs traditionnels associés à la faillite.
2. Données empiriques et contexte économique en 2025
2.1 Tendances récentes des faillites au Luxembourg
Les statistiques du premier trimestre 2025 attestent une stabilisation du nombre de faillites, avec une baisse notable dans le secteur commercial (-21 % sur un an) et une situation analogue dans le bâtiment.
Par ailleurs, la constance des liquidations judiciaires témoigne d’une efficacité accrue des dispositifs de prévention, qui favorisent des alternatives à la cessation d’activité classique.
2.2 Environnement macroéconomique favorable
Le Luxembourg bénéficie d’une croissance projetée du PIB réel à 2,1 % en 2025, soutenue par une politique budgétaire prudente et un cadre financier stable. Ces conditions macroéconomiques participent à la résilience du tissu entrepreneurial et à la réussite des mécanismes de restructuration.
3. Apports de l’expertise terrain : cas illustratifs
La mise en œuvre des dispositifs légaux rénovés nécessite un accompagnement technique précis, articulé autour de compétences pluridisciplinaires (juridiques, comptables, financières). Plusieurs cas concrets illustrent les défis et les réponses opérationnelles apportées.
Cas 1 : Réorganisation amiable d’une PME dans les services (février 2025)
Face à une forte tension de trésorerie, une PME a mobilisé un conciliateur d’entreprise pour faciliter un accord entre débiteurs et créanciers. Ce processus, validé par le tribunal, a permis d’éviter la cessation d’activité, avec la sauvegarde effective de 12 emplois et un rétablissement opérationnel en moins de quatre mois. Ce cas met en lumière l’importance de la médiation structurée pour stabiliser rapidement des situations fragiles.
Cas 2 : Mise en œuvre du « pre-pack » dans la distribution (mars 2025)
Une société menacée de faillite a pu bénéficier d’une procédure prépackagée sous supervision judiciaire, qui a été finalisée en 30 jours. Cette opération a favorisé la continuité des activités et la préservation d’une part importante des effectifs (80 %), tout en optimisant les recouvrements pour les créanciers par rapport à une liquidation classique. La procédure démontre l’efficacité d’un mécanisme intégré et encadré dans la gestion des crises.
Cas 3 : Gestion des dettes sociales post-faillite (avril 2025)
Un dirigeant de SARL liquidée a été poursuivi pour dettes sociales impayées. Un rapport d’expertise comptable a permis la reconstitution détaillée des flux financiers, démontrant des éléments en faveur d’une annulation partielle des cotisations. Ce cas souligne la nécessité d’un accompagnement spécialisé pour assurer une gestion rigoureuse des aspects financiers post-faillite, et une prise en compte fine des droits et obligations des parties.
4. Analyse critique et perspectives
4.1 Points forts
La réforme met en évidence une logique préventive renforcée, fondée sur la détection précoce des fragilités et la mobilisation d’outils amiables comme la médiation ou la conciliation. Elle consacre également le principe de seconde chance, en facilitant la restructuration plutôt que la liquidation systématique. Dans ce cadre, les experts techniques, au premier rang desquels figurent les fiduciaires, sont appelés à jouer un rôle de premier plan. Leur capacité à traduire les enjeux financiers en éléments compréhensibles pour les juridictions, à structurer les informations et à accompagner les dirigeants dans les étapes critiques du redressement ou de la liquidation encadrée constitue un levier concret d’efficacité du dispositif. Ce maillage de compétences de proximité s’avère déterminant, notamment pour les petites structures peu armées pour affronter seules la complexité des procédures.
4.2 Limites et défis
Toutefois, la procédure pre-pack est confrontée à des contraintes temporelles fortes (30 à 60 jours), et la protection des débiteurs face aux créanciers durant la phase préparatoire reste partielle. De plus, la question de l’accès à une nouvelle activité pour les dirigeants faillis, notamment en cas de dettes publiques importantes, demeure un enjeu juridique et éthique.
Le cadre luxembourgeois rénové en 2023 constitue un exemple pertinent d’équilibre entre rigueur juridique, innovation procédurale et pragmatisme opérationnel. Les premières observations terrain confirment la pertinence des outils développés et soulignent l’importance d’un accompagnement technique et stratégique dans le parcours post-faillite.
Notes et références
- Loi du 7 août 2023 relative à la préservation des entreprises et modernisation du droit de la faillite, Journal Officiel du Grand-Duché de Luxembourg, 2023. Elle transpose la directive (UE) 2019/1023 et introduit des mesures de prévention, de détection, de médiation et de réorganisation.
- Directive (UE) 2019/1023 du Parlement européen et du Conseil, du 20 juin 2019, relative à des cadres de restructuration préventive, à l’annulation des dettes, à des exonérations de dettes et à des interdictions pour les entrepreneurs défaillants, Journal Officiel de l’Union européenne, 2019.
- OCDE, Études économiques de l’OCDE : Luxembourg 2025, Paris, 2025.
- STATEC, Statistiques sur les faillites, premier trimestre 2025, www.statistiques.public.lu.
- Barreau de Luxembourg, Observatoire des faillites, 2025.
- Cas pratiques issus de l’expérience professionnelle d’EcoSolidaire Luxembourg, fiduciaire spécialisée en accompagnement d’entreprises en difficulté, 2025 (données anonymisées et synthétisées).
Rédigé par Noura Jafout
Publié par EcoSolidaire Luxembourg
Fiduciaire engagée pour une économie durable, humaine et solidaire