
La question de la transparence financière dans les organisations sans but lucratif (ASBL) et les entreprises sociales occupe une place croissante dans le débat public, notamment à la lumière de plusieurs scandales récents ayant mis en lumière des défaillances de gouvernance et de gestion des fonds. Dans un contexte où la confiance des parties prenantes, donateurs, bénévoles, pouvoirs publics et bénéficiaires, est un levier essentiel de la légitimité, la transparence devient un impératif stratégique.
Les dimensions et enjeux de la transparence financière, désormais reconnue comme un pilier essentiel de la performance et de la pérennité des structures de l’économie sociale, sont analysés en s’appuyant sur des recherches académiques ainsi que sur des bonnes pratiques observées à l’échelle européenne.
1.L’exigence croissante de redevabilité
La transparence financière, entendue comme l’accès clair, vérifiable et structuré à l’information économique et financière d’une organisation, est un facteur clé de redevabilité (accountability). Dans les secteurs subventionnés ou financés par des dons, la légitimité des structures repose en partie sur leur capacité à justifier l'utilisation des ressources.
Selon Ebrahim (2003), la redevabilité dans les organisations non lucratives est multidimensionnelle : elle inclut la transparence financière, mais aussi la clarté des missions, la communication des résultats, et l'engagement des parties prenantes.
En Europe, la Commission européenne insiste, dans sa Stratégie pour les entreprises sociales (COM(2011) 682 final), sur la nécessité d’une meilleure gouvernance et d’une gestion responsable, appelant les États membres à renforcer les exigences en matière de reporting et d'audit pour les entités de l’économie sociale.
2. Le cadre luxembourgeois et ses évolutions récentes
Au Luxembourg, la réforme de la loi du 7 août 2023 sur les associations et fondations sans but lucratif a marqué une avancée notable en matière de gouvernance, introduisant de nouvelles obligations comptables et de publication pour les ASBL dépassant certains seuils de taille (article 20 et suivants).
Cette réforme a pour objectif de garantir une plus grande traçabilité des flux financiers, notamment dans les organisations bénéficiant de fonds publics ou exerçant une activité économique significative. Elle s’aligne partiellement sur les recommandations du Groupe d’action financière (GAFI) en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux dans le secteur non lucratif.
Dans ce contexte, les observations sur le terrain soulignent une diversité importante dans la gestion financière des ASBL. L’examen des comptes publiés au Registre de Commerce et des Sociétés révèle que plusieurs associations ne déposent pas systématiquement leurs comptes annuels, bien que cette formalité soit requise. Cette situation peut s’expliquer par un ensemble de facteurs, allant du manque de formation ou de ressources internes à des pratiques moins transparentes.
Dans le paysage associatif et entrepreneurial luxembourgeois, il existe des défis structurels importants concernant la gestion financière et comptable. Si la majorité des acteurs s’efforce de respecter leurs engagements, il demeure que certains cas de pratiques problématiques, parfois conduisant à des dysfonctionnements sérieux, ne peuvent être ignorés. Ces situations, qui peuvent aller jusqu’à des dérives ou des fraudes, affectent la confiance globale dans le secteur et rappellent la nécessité d’une vigilance accrue et d’un accompagnement renforcé. Sans pointer spécifiquement des acteurs, il est important de reconnaître cette réalité complexe afin d’encourager une meilleure gouvernance, un engagement responsable, et préserver la confiance dans le secteur
3. Transparence, gouvernance et pérennité : un triptyque indissociable
De nombreuses recherches démontrent que la transparence financière contribue à améliorer la gouvernance interne des organisations en instaurant des mécanismes de contrôle, de reporting et de suivi plus rigoureux.
Dans une étude comparative, Cordery & Sim (2018) montrent que les organisations transparentes obtiennent un niveau de confiance plus élevé de la part des financeurs publics et privés, ce qui favorise leur accès au financement à long terme. La confiance est ici définie comme une anticipation positive des comportements futurs, fondée sur la réputation de rigueur et d’intégrité.
La transparence a également un impact direct sur la performance. Selon une publication de Social Enterprise UK (2017), les entreprises sociales britanniques ayant mis en place un reporting régulier et public sur leurs résultats financiers et sociaux sont perçues comme plus fiables par leurs partenaires, ce qui augmente leur attractivité économique.
4. Vers une culture de la transparence intégrée
Instaurer une culture de la transparence ne se limite pas à répondre à des obligations réglementaires. Il s’agit d’un processus stratégique qui doit être intégré dans la vision et les pratiques quotidiennes de l’organisation.
Cela implique :
- Une comptabilité conforme aux normes en vigueur (PCN pour les ASBL luxembourgeoises) et actualisée.
- La publication régulière des rapports d’activités, et comptes annuels, à titre d’exemple.
- L’utilisation d’outils de reporting intégrant l’impact social, comme le Social Return on Investment (SROI).
- La formation continue des gestionnaires et bénévoles à la lecture des états financiers.
- La mise en place de mécanismes de contrôle interne indépendants (comité d’audit, etc.).
Ces éléments participent à renforcer non seulement la légitimité externe mais également l’efficacité opérationnelle interne.
Dans un monde où la méfiance institutionnelle est croissante, la transparence financière n’est plus un simple gage de bonne gestion : elle est devenue une condition indispensable à la survie et à la crédibilité des ASBL et entreprises sociales. Elle exige une approche proactive et intégrée, fondée sur une gouvernance rigoureuse, une formation adaptée, et une volonté constante d'amélioration.
EcoSolidaire Luxembourg s’engage à accompagner les acteurs de l’économie sociale dans cette démarche, en alliant expertise, formation et outils adaptés à leurs réalités.
Références
- Ebrahim, A. (2003). Accountability In Practice: Mechanisms for NGOs. World Development, 31(5), 813–829.
- Cordery, C. J., & Sim, D. (2018). Dominant stakeholders, activity and accountability discharge in the CSO sector. Financial Accountability & Management, 34(1), 77–96.
- European Commission. (2011). Social Business Initiative – Creating a favourable climate for social enterprises (COM(2011) 682 final).
- Social Enterprise UK. (2017). The Future of Business: State of Social Enterprise Survey 2017.
- Loi du 7 août 2023 portant organisation des ASBL et fondations au Luxembourg.
- Groupe d'action financière (GAFI). (2014). Best Practices: Combating the Abuse of Non-Profit Organisations.
Rédigé par Noura Jafout
Publié par EcoSolidaire Luxembourg
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